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L'histoire du prince Onyx

Il était une fois...
...un prince, fort beau, issu d’une longue et sage lignée. On l’appelait Onyx. Ses aïeux, depuis l’aube des temps, avaient régné sur la forêt et sur ses alentours.
C’était la forêt d’Espirito Noctis, au delà du vallon des ombres, au delà de la Montagne blanche, et au delà encore des mers de l’Espérance. Une forêt inviolée, vivace, charnue, riche en essences, et d’une insolente émeraude.

Le roi son père pensa qu’il était bon, puisque la destinée lui promettait les plus hautes fonctions, que son fils prit femme. Il s’enquit des héritières. On lui désigna une jeune fille, fort calme et réservée, de bonne famille et de noble figure, qui pouvait convenir comme épouse du prince.
Mais le roi répugnait à forcer les sentiments. Il fit venir son fils et lui parla ainsi : « Mon enfant, ma charge pèse à mes cheveux blancs. J’ai hâte de te remettre mon sceptre de ramure. Mais un roi doit veiller à assurer sa descendance. Prends femme et deviens roi, qu’une vieillesse paisible soit enfin mon destin ».
« Mon père » dit Onyx « je manque trop d’esprit, je ne saurais me choisir une épouse. A juste escient, votre sagesse est admirée par barons et vassaux. Dites-moi qui vous agrée, et je m’y résoudrai ».
« Mon fils » lui dit le roi « ces choses méritent qu’on s’y arrête. Voici un anneau de fiançailles. Va voir la jeune fille que l’on m’a beaucoup louée. Elle s’appelle Gudrün, et elle a, je crois, les qualités requises pour porter la couronne. Mais donne-lui l’anneau nuptial. Il est magique. Si la jeune fille te convient, l’anneau brillera à son doigt. Mais si elle n’est pas digne de toi, il se ternira et perdra tout éclat. Si c’est le cas, ne l’épouse point, le malheur s’en suivrait. ».
« Je ferai ainsi » dit le prince. Et sur le champ, il partit.

Peu après, son cheval s’arrêtait devant la porte de Gudrün. Il fut accueilli fort civilement par son père. Celui-ci s’enquit de sa demande et fit venir Gudrün. Onyx ne la trouva ni belle, ni laide. En toute vérité, il n’eut pas d’opinion. Se souvenant des conseils de son père, il lui offrit l’anneau.
Mais Gudrün était fille d’une froide sorcière que l’on avait bannie. Avertie par sa mère, elle passa l’anneau à son orteil, et l’anneau ne manifesta rien. Onyx, sans expérience, ne vit pas la traitrise, et il l’épousa donc.
Les fêtes du mariage durèrent 8 jours. Au terme de quoi, le roi offrit la couronne à son fils et mourut de bonne grâce.
La reine Gudrün porta le deuil un mois, et puis le second mois, puis les 6 mois suivants. Au point qu’Onyx en fut surpris. « Madame » lui dit-il « votre chagrin est excessif. Vous avez assez pleuré mon père. A présent que des atours brillants soient la parure de votre beauté ».
« Sire » dit Gudrün « la mort de votre père m’a causé une peine profonde. Permettez encore quelque temps ma parure de deuil. J’y renoncerai dans un an ».
Le prince ne sut que dire. Dans l’ignorance, il accepta. Et Gudrün continua de se vêtir de noir.
Puis la reine s’avisa que la musique était offense à la mémoire de son beau-père. On poursuivit les ménestrels. On brûla les pipeaux et tous les clavicordes. Les oiseaux furent chassés. On interdit aux arbres de chanter sous le vent.
Onyx s’en attrista mais ne résista pas. Et le royaume tomba dans le silence.
La reine dit ensuite que la couleur était horrible insulte. Seul le noir pouvait convenir à sa grande tristesse. Alors, on effeuilla les roses, tous les blonds furent rasés, les teinturiers pendus. On supprima le printemps et l’été. Seule, la neige résista au décret. Et le royaume s’enveloppa d’hiver.

Onyx ne se rebella point. « Sans doute » pensa-t-il « s’agit-il de coutumes qui viennent de chez elle. Il me faut m’y plier, sous peine d’affliger Gudrün. Patientons donc ».

Ainsi, dix ans passèrent, sans que rien ne changeât.
Le roi ne disait mot, languissant au donjon.

Mais un jour arriva un lointain messager.
Introduit jusqu’au trône, il s’inclina très bas et dit au triste roi : « Sire, aux limites de vos terres, un grand malheur est arrivé, vos sujets requièrent votre secours ».
« Quel est donc le malheur dont se plaignent mes sujet ? » dit le roi.
« L’Impératrice du Nord envahit nos régions. Elle gèle nos récoltes, et le cœur de nos gens. Beaucoup déjà sont morts. Si vous n’intervenez, le royaume est perdu ».
« Quelle rare insolence nous vient de ces manants » dit la reine « l’Impératrice est ma mère. Elle ne saurait certes attaquer mon époux »
« Mais elle tue mes sujets... » dit Onyx avec hésitation.
« Votre majesté a bien d’autres soucis » dit Gudrün « Quelques vilains givrés ne sont pas grande affaire ».
Sur ces fermes paroles, elle congédia le messager qui ne revint jamais.

Cependant l’Impératrice avançait à grands pas. Tout disparaissait dans son souffle de mort. Village après village, hameau après hameau, le royaume se mourait. Bientôt l’Impératrice parvint aux portes du château.
La reine lui fit ouvrir. La mort frappa partout. Pétrifiés jusqu’à l’âme, les hommes succombaient. Et il ne resta bientôt plus qu’Impératrice et reine, uniques survivantes du silencieux carnage. A peine furent-elles réunies, qu’elles se jetèrent l’une vers l’autre avec transport. Et dans l’inceste étreinte, elles furent transformées en statues de cristal. Alors, dans un crissement sépulcral, le donjon tout entier s’affaissa sur lui même, jusqu’à la plaine inerte, enveloppée de brume, glacée d’éternité, au silence abyssal des déserts antarctiques.

Un serviteur fidèle avait fait fuir le roi, par des souterrains inconnus du commun.
Lorsqu’il revit le jour, rien n’avait survécu. La neige, à l’infini, remplissait l’horizon.
Il pleura. Mais en touchant le sol, ses larmes dégagèrent soudain un éclat de soleil. Le roi fut d’abord ébloui, mais en regardant mieux, il vit que ce feu dans la neige venait d’un bijou d’or. C’était l’anneau nuptial, offert autrefois à la sombre Gudrün.
Il s’en saisit, le porta à ses lèvres, et le glissa sous son pourpoint, à portée de son cœur. Puis il se mit en marche.

Il marcha trente mois. Au terme de la plaine, il vit le vallon d’ombre, et il marcha encore pendant dix mois. Au terme du vallon, il gravit la montagne. Cela lui prit un mois et au terme des monts, il toucha l’océan. De son voyage, il n’était plus que loques, le visage griffé, et les mains crevassées. Une fatigue immense l’assit sur le rivage. Rien ne semblait jamais la limite de rien.
Et tandis que son oeil errait, découragé, sur l’étendue saline, l’anneau sur son cœur se mit à vibrer, tel un murmure d’amour.
Au loin, une nef approchait.
Quand elle fut plus près, il appela d’une voix forte et la nef s’arrêta. Il appela encore sans qu’elle ne bougeât plus.
Alors il hurla, grimpa sur un rocher, sa fatigue oubliée, fit des signes des bras, hurlant comme un damné. Comme tirée à sa voix, lentement, la nef approcha. On n’y voyait personne, mais une flèche en jaillit, qui vint se ficher à ses pieds, entraînant une corde.
La saisissant d’un bras déterminé, il se mit à grimper et bientôt il prit pied sur le pont du navire.
L’anneau vibra plus fort.
A bord, il n’était âme qui vive, mais sitôt fut-il embarqué que la nef fit demi-tour et regagna le large. Elle vogua longtemps. Au bout du deuxième jour, le prince s’endormit. Quand il se réveilla, il était sur une plage, la nef était partie et le soleil tapait en son midi. Il aperçut au loin un château qui dominait la mer, et une ville, dont les remparts brillaient. Il marcha jusque là.

Le bourg lui parut beau, mais les villageois couraient en tout sens, en poussant des clameurs de colère. Le roi arrêta un homme.
« D’où vient » lui dit-il « cette rage que je vois en tout lieu ? Préparez-vous la guerre ? »
« Messire » répondit l’homme « nous n’avons point de guerre. Mais dans trois jours pourtant, nous mènerons l’assaut. Nous prendrons le château que là-haut vous voyez, et de gré ou de force marierons la princesse. J’en jure sur mon poing ».
« Les filles de chez vous sont-elles si farouches » lui répartit Onyx « qu’il faille les forcer à se prendre un époux ? »
« Nos filles sont dociles. Seule la princesse est rebelle au joug de l’hyménée. Elle se refuse aux hommes et prétend rester fille au palais de son père ».
« En quoi cette disposition est-elle si blâmable ? La princesse aime son père, sans doute... »
« Peu me chaut sa tendresse pour un père trop faible à ses caprices » lui répondit l’homme « un oracle a prédit que si avant dimanche, la princesse ne convole, la mer se gonflera jusqu’à tout envahir. Et la ville de nos père en sera engloutie. Mais ce malheur ne nous touchera pas. Avant dimanche, elle aura un époux, cela est résolu, ou bien elle périra. S’il le faut, je la tuerai moi-même ».
« Quel est donc le galant qui se voit repoussé ? » dit Onyx « peut-être est-ce l’homme qui ne lui convient pas. Avec un choix plus judicieux... »
« Vous rêvez, mon compère » dit l’homme « la princesse est si belle que tout homme expire d’amour à la voir. Tout ce que le pays contient de jouvenceaux a déjà fait sa demande. Aucun n’a su lui plaire »
« Est-elle si difficile ? » dit Onyx étonné.
« Elle a mis à sa main, une épreuve impossible. Elle veut du fiancé un bijou éclatant. Mais jamais joaillier, ou d’ici ou d’ailleurs, ne sut satisfaire à l’épreuve, quel que soit le talent. On lui a offert les bijoux les plus beaux, des parures de gemmes, des perles de l’orient et des grenats du Rhin, de l’argent et de l’or comme on en vit jamais. Mais sitôt que le bijou est passé à son doigt, le métal se ternit, et les pierres de même. C’est un prodige à faire pleurer ».
Onyx en fut saisi. Sur son cœur, doucement, chantait l’anneau d’amour...
« Je m’y veux essayer » dit-il à son compère.
« Allons, l’ami, vous vous gaussez » dit l’homme avec pitié « avez-vous vu comment vous avez la tournure ? Votre chemise est un triste haillon, votre chausse baille au ciel. Quel joli prétendant imaginez-vous faire ? Avez-vous du moins quelque joyau à faire valoir ? »
Onyx montra l’anneau nuptial. L’homme fut désappointé.
« Certes la pièce est brillante, mais elle fait peu d’effet, le dessin est bien sobre. Si encore, une pierre de prix avait pu la flatter... Mais cet anneau tout nu, tel qu’ainsi, est beaucoup trop modeste, assurément la princesse pourrait s’en offusquer »
Onyx resta cependant ferme dans sa résolution. Pris de compassion, le bourgeois lui offrit de le mener jusqu’à la cour.
« Gardez-vous » lui dit-il « de répondre aux moqueries que vous ne saurez manquer de susciter. Ne dites mot, je vous introduirai. Ne parlez pas au roi. Et ne vous adressez qu’à la princesse ».

Onyx promit.

Au château, le bourgeois fit connaître qu’un prétendant se présentait. On lui ouvrit les portes, mais la piétaille voulut chasser Onyx.
« N’y touchez point » dit l’homme « ce valet m’accompagne »
On le laissa passer. Mais on murmura fort.
Arrivé jusqu’au trône, le bourgeois salua.
« Sire » dit-il « L’homme qui est à mon côté demande la main de la princesse. Il apporte un bijou fort brillant qui pourrait la satisfaire »
Le roi regarda Onyx avec dégoût : « Quoi ? Ce palefrenier puant a cette audace ? Il a perdu l’esprit ».
« Ma foi, Sire » répondit le bourgeois « je l’ai bien cru aussi. Mais l’homme insiste. Il prétend être digne de la princesse. Il se dit roi lui-même, d’une contrée lointaine, qu’un voyage aventureux a mis dans le triste état où vous le voyez »
Le roi partit d’un rire énorme. « Certes, je le vois » dit-il « c’est le roi des oripeaux, voilà bien tout son titre. Allons, valet, retire-toi, la princesse n’est pas pour toi »
« Permettez, Sire » dit le bourgeois « mais la princesse a juré d’examiner tous ses prétendants. Elle ne peut repousser celui-ci sans l’écouter d’abord »
« Comme tu voudras » dit le roi courroucé « que mes écuyers aillent quérir ma fille »
Et bientôt la princesse se présenta. Elle s’appelait Céleste.

Sur un col gracieux, sa tête délicate se tenait bien droite. Elle avait le cheveu blond et fort brillant, qui tombait plus bas que taille, un visage adorable et des lèvres vermeilles à faire mourir d’amour. Jamais Onyx n’avait vu plus belle chose, il en demeura coi.
« Vous m’avez fait mander, mon père... ? » demanda la princesse, d’une voix mélodieuse.
« Un homme demande à t’épouser » dit le roi « Il dit qu’il a un bijou pour toi ».
« Encore des bijoux ! » dit la princesse « ne me laissera-t-on pas en paix ? »
« Tu sais que la loi t’oblige à tester le bijou. Mais, va, ici, ce sera bientôt fait... C’est l’homme que voici » dit le roi, en lui montrant Onyx avec dédain.
La princesse se retourna et considéra Onyx. Le bourgeois faisant signe, Onyx sortit l’anneau de son pourpoint et le tendit à la princesse. Il brillait comme une flamme, et dans les yeux de la princesse, on vit luire pareille flamme. Mais elle baissa si promptement les yeux, que chacun crut avoir rêvé.
« Allons, pour aujourd’hui, je suis trop fatiguée » dit-elle « pour porter ce bijou. Revenez donc demain »
« Que Votre Grâce soit bénie » dit Onyx en s’inclinant « Prenez votre repos, je reviendrai demain. D’ici là, je rêverai de vous ».
Il fit un grand salut, puis il se retira.

La princesse resta donc seule avec son père.
« D’où vient » dit celui-ci « que tu veux un délai pour porter ce bijou ? Tu aurais dû y consentir, nous serions maintenant débarrassés de l’importun... »
« Mon père » lui répondit Céleste « ne croyez point cela. Si l’anneau restait brillant, je serais à présent fiancée... »
« Et pourquoi ne se ternirait-il point ? » dit le roi étonné « tous les joyaux à ton doigt ont vu leur lumière s’éclipser. Celui-ci est assurément un des plus ordinaires »
« N’avez-vous pas remarqué l’éclat de cet anneau ? » répartit la princesse « si vous m’en croyez, mon père, cette bague détient quelque pouvoir secret. Je craindrai trop d’y perdre mon état de fille à l’essayer. Ne me pressez pas. Je trouverai bien quelque ruse pour ne point le porter »
« J’y consens » dit le roi « le prétendant est par trop mal tourné. Fais donc comme tu l’entends »

La princesse remercia son père et regagna ses appartements. Mais tandis qu’elle traversait son petit jardin privé, elle le trouva si fleuri qu’elle s’arrêta un instant. Non, certes, en passant tout à l’heure pour aller chez son père, elle n’y avait pas vu tant de fleurs épanouies. Le parfum en était exquis.
Le jardinier accourut à son appel.
« Avez-vous planté de nouveaux buissons, en cet après-midi ? » demanda la princesse.
« Non, Votre Grâce » lui dit le jardinier « mais vers trois heures, et je ne sais comment, tous les rosiers ensemble se sont mis à fleurir. C’est un prodige, assurément. »
Céleste en resta rêveuse un long moment.

Le lendemain, Onyx se présenta au château. La princesse l’attendait. Elle vit avec plaisir qu’il avait changé ses haillons pour un pourpoint de drap bleu et des chausses de velours. Sa mine était bien plus flatteuse.
Onyx la trouva plus belle encore, avec son diadème de tresses et sa robe de brocart.
Fort ému, il lui tendit l’anneau, qui se trouvait encore plus brillant que la veille. Céleste se garda bien d’y toucher, et montrant un siège près d’elle, le lui offrit.
« Allons » dit elle « nous avons bien le temps de cet essayage. J’aimerais d’abord vous mieux connaître. Dites-moi votre histoire... »
Onyx la raconta. Céleste en fut très attentive et posa mille questions. Quand le récit prit fin, la nuit était tombée.
Onyx représenta qu’il était plus que temps pour essayer la bague. Mais la princesse se déroba.
« Il est trop tard, vraiment. Mais revenez demain, ce sera chose faite »
Onyx n’osa insister. Il se préparait à saluer, quand, d’un mouvement subit, Céleste offrit sa main. Alors, il se pencha et la baisa avec tendresse. Céleste en rougit et s’enfuit si vite que le jeune roi resta encore tout interdit au milieu de la salle.

Rentrant chez elle, Céleste dut encore traverser son jardin. Des chants délicieux l’y attendaient. Elle appela son jardinier.
« Avez-vous » lui dit-elle « acheté une volière ? »
« Non, Votre Grâce » lui dit son jardinier « mais à trois heures tantôt, des oiseaux sont venus de partout et depuis ce temps, ils chantent sans se lasser. Je n’y comprends certes rien. Ce tour dépasse mon entendement ».
Céleste resta un moment à écouter les oiseaux, qui s’enivraient de vocalises, puis, hésitante, elle alla chez son père.
« Mon père » lui dit-elle « souhaiteriez-vous me voir mariée ? »
« A dieu ne plaise » lui répondit le roi « que j’aie jamais souhaité te voir partir pour un autre foyer. Je n’ai à l’esprit que ton contentement. J’ai toujours refusé de te forcer l’inclination. Pourtant si quelque prince te paraissait aimable, je m’en accommoderai. Mais pourquoi cette question ? »
« Le jeune roi d’hier est aujourd’hui venu. Je l’ai interrogé, mon opinion est faite. Son anneau est magique. Si je l’essaie, je suis perdue, il brillera encore et ne ternira point »
« Oh, oh... » fit le roi « L’aventure est étrange... Mais que veux-tu que je fasse ? Si à l’essai, cet anneau brille encore, c’est sans doute qu’il te va... »
« Sans doute... » dit Céleste en rougissant pour la deuxième fois.
Le roi la regarda avec grande attention.
« Comme te voilà troublée... ! » dit-il avec malice « Ce jeune roi aurait-il des vertus qui m’auraient échappées ? »
« Je ne sais » dit Céleste « assurément, il a un peu de charme... »
« Ma foi, » lui dit le roi « voilà qui va fort bien. Écoute. Ne te presse point. Sonde-le, vois si ton impression favorable se justifie. Accorde-toi un temps de réflexion. Si le jeune roi te plaît, c’est dit, épouse-le. Mais s’il ne te plaît point, jette-le donc dehors, et lui et son anneau. N’y tergiverse pas, je te seconderai »
« Mais la ville s’agite, mon père » dit la princesse « si je renvoie ce prince, des troubles surgiront... »
« Il ferait beau voir » gronda le roi « que d’insolents marauds s’avisent à me défier... »
« Je ne veux pas être cause d’aucun trouble » murmura la princesse « mais le jeune roi revient demain. J’ai deux fois déjà repoussé l’essayage. Demain je n’y pourrai échapper. Que me conseillez-vous ? »
Le roi réfléchit un instant.
« J’ai, je crois, de quoi te tirer d’embarras. Il y a dans ma chambre un miroir de belle taille où chacun peut se voir tout entier. Une fée autrefois, de qui j’étais ami, m’en a fait le présent. Ce miroir révèle les vérités enfouies. Si le prince s’y mire, tu le verras alors tel qu’il est dans son âme. Ce portrait pourra t’éclairer sur ce que tu dois faire. Je fais porter à l’instant le miroir dans ta chambre, couvert d’un voile noir. Demain, arrange-toi pour que le jeune roi soit debout tout devant, et ôte le voile noir. Tu sauras bien alors si tu dois essayer l’anneau de fiançailles... »
La princesse promit d’utiliser le miroir. Et le roi le lui fit porter dans ses appartements.

Le lendemain, Onyx revint. Cette fois il portait un habit somptueux, cadeau de son ami, le bourgeois de la ville. Celui-ci voyait ces trois visites comme de bonne augure. Et il lui offrit des vêtements de cour, en soie brochée d’argent.
Ainsi paré, Onyx avait une mine fort plaisante, la princesse dut en convenir.
Elle le reçut dans sa chambre, le miroir dissimulé sous un voile sombre, comme son père le lui avait conseillé.
Onyx salua. Céleste fit la révérence. Puis ils se tinrent un peu embarrassés. Onyx craignait qu’elle refusât encore de porter son anneau. Céleste ne savait quel tour donner à la conversation.
« Est-ce vous » dit-elle enfin « qui avez amené des roses à mon jardin ? Et des oiseaux, encore, le lendemain ? »
« Je ne sais ce que Votre Grâce veut dire » répondit Onyx, fort surpris « je n’ai même jamais vu votre jardin... »
« Pourtant, juste après votre première visite, tous ensemble, mes rosiers ont fleuri. Et le lendemain, après votre départ, c’est mille oiseaux qui peuplaient mon jardin. Comment expliquez-vous ce prodige si vous n’en êtes pas cause ? » demanda Céleste.
Onyx resta un peu pensif.
« Je pense que Votre Grâce se trompe » lui dit-il à la fin « Ce jardin est à vous. Vous seule avez pu l’inciter à ces enchantements. C’est en vous qu’il a pris ce prodige... »
« En moi ? » murmura la princesse, songeuse « Mon jardin saurait-il donc de moi des enchantements que je m’ignore moi-même ? »
« Je ne vois rien de plus facile à croire » dit Onyx « L’enchantement surgit dès que vous paraissez... »
Céleste rougit pour la troisième fois. Mais cette fois, elle ne s’enfuit pas.
« Beau compliment » dit-elle, un peu souriante « Je m’ignorais en effet tel pouvoir. Mais ne craignez-vous pas, Messire, que ce pouvoir ne soit capable aussi de maléfice ? »
« Je ne crois pas » dit Onyx « que la lumière qui baigne Votre Grâce soit de mauvaise augure. Elle est trop pure et claire pour m’inquiéter en rien... Princesse, mon anneau a vibré à s’approcher de vous. Autrefois mon père me l’avait fait tenir, pour que j’en orne le doigt de la femme que j’aime. Nul doigt de femme, jamais, ne l’a porté. Au bout du troisième jour que je vous vois, mon opinion est arrêtée, c’est à vous qu’il était destiné. Ne le voudrez-vous point essayer ? »
« Je le ferai » dit Céleste « si vous soulevez le drap noir que vous voyez ici »
« Que verrai-je dessous ? » demanda Onyx.
La princesse n’hésita qu’un instant.
« C’est un miroir, qui jamais n’a menti, Vous vous verrez vous-même, dans votre vérité. Je vous verrai aussi. Nous saurons tous les deux, et dans le même instant, si l’anneau me convient »
« Je consens à l’épreuve » dit Onyx « mais, divine princesse, puisque ensemble nous saurons si cet anneau vous va, c’est que l’épreuve, par nous ensemble, doit être concourue. Vous voyez, je suis face au drap noir. Consentez-vous à me rejoindre ? »
Et il tendit la main à la princesse. Céleste s’en saisit et s’approcha de lui. Épaule contre épaule, d’un même geste, ensemble, ils soulevèrent le drap.
Que virent-ils ? L’histoire ne le dit pas. Mais Onyx passa l’anneau au doigt de la princesse et, d’un coup, dans un éclair brillant, l’anneau devint diamant, taillé d’une seule gemme, éblouissant de feu.

La ville fut contente, le bourgeois encore plus. Quant au roi, ainsi qu’avant promis, il les maria tout aussitôt.
Et Onyx, et Céleste, me direz-vous, que sont-ils devenus ?
Oh, ils s’aimèrent longtemps. Et encore aujourd’hui, je gage qu’ils sont vivants et qu’ils s’aiment toujours...